Landes

01 juin 1980
22m 07s
Réf. 00008

Notice

Résumé :

Originaire de Labouheyre, le photographe et poète landais Félix Arnaudin (1844-1921) a à cœur, tout au long de sa vie, de livrer un témoignage fidèle des Landes et de ses traditions, au moment où celles-ci connaissent une irréversible mutation liée à la plantation des pins et au développement de l'industrie sylvicole.

Type de média :
Date de diffusion :
01 juin 1980
Personnalité(s) :

Éclairage

Au milieu du XIXe siècle, ce que l'on nomme aujourd'hui le massif forestier des Landes de Gascogne se donnait à voir tel une mosaïque de forêts, de champs et de "lande rase" destinée à la pâture des ovins. À ce paysage répondait un mode de production "agro-sylvo-pastoral", avec un système social propre et une culture orale multiséculaires, véritable miroir et vecteur d'une conscience communautaire.

Né en 1844 puis parti étudier à Mont-de-Marsan, Félix Arnaudin retrouva son village natal de Labouheyre en 1861, et assista, impuissant, à la dislocation du monde de son enfance au profit de la sylviculture, véritablement favorisée par la loi du 19 juin 1857, incitant les communes à ensemencer les terrains communaux, condamnant ainsi la pratique de l'élevage extensif.

Félix Arnaudin refusa ce nouveau mode d'exploitation de la Lande, envisageant la "forêt industrielle" comme une mise à mort de l'ancienne sociabilité et des rapports de solidarité. Après quelques courtes expériences professionnelles et des oppositions avec sa famille donnant lieu à une rupture en 1874, il se considéra de plus en plus comme un "déclassé". Célibataire, sans emploi, vivant du revenu de ses quelques métairies, il entrevoyait ce qui, à l'époque, semblait être un échec social comme le signe d'une vocation.

En s'opposant aux transformations sociétales, économiques et environnementales de son pays, il choisit, non pas d'en souffrir dans une nostalgie de l'ancienne société, mais plutôt de se positionner comme un des derniers témoins de la vieille lande. Jusqu'à sa mort, en 1921, il œuvra à révéler une terre, une langue et un paysage en mutation. Dans une démarche rigoureuse aux procédures reconnues par les instances scientifiques de l'époque, il collecta, écrivit, collectionna et laissa à la postérité une somme de traditions en passe de disparaître.

Dans un journal intime commencé à l'âge de 17 ans, il nota ses réflexions personnelles et relata à travers les épisodes de sa vie privée l'évanouissement d'un monde. Parallèlement à cette littérature journalière, Félix Arnaudin entrepris de consigner une tradition orale ancestrale en recueillant proverbes, contes et chants populaires, lors de veillées paysannes. Cette matière fera l'objet de trois publications de son vivant : Contes populaires (1887), Chants populaires (1912) et Choses anciennes de l'Ancienne Grande-Lande, première série (1920).

Aux retranscriptions scrupuleuses de cette oralité viennent s'ajouter les multiples feuillets de notes parfois très scientifiques, dans un souci permanent d'une justesse de la méthode de travail. Comparable à l'enquête de terrain aujourd'hui, il parcourut la lande à bicyclette, interrogeant les derniers porteurs de la tradition avec un questionnaire préparé au préalable. Dénuée de tout préjugé romantique, sa démarche sera toujours portée par une intention objective tant dans la dimension folkloriste et ethnographique de son œuvre que dans celle historique et littéraire.

Néanmoins, le travail de Félix Arnaudin trouve toute son originalité dans la photographie. À la fois technicien et artiste, s'adaptant aux évolutions technologiques, il livre un témoignage précieux, figeant dans une sorte d'éternité et d'universalité des paysages et une société disparaissant à l'ère du "progrès". Ce corpus de près de 2700 plaques photographiques fut entièrement répertorié par l'auteur lui-même permettant la localisation et la datation des clichés dans un souci sans cesse réaffirmé de méthode faisant de lui un véritable folkloriste.

Son travail fut redécouvert et publié au début des années 1960, et réédité depuis.

Bibliographie :

- ARNAUDIN Félix, Œuvres complètes, Belin-Belliet : Parc Naturel des Landes de Gascogne, Bordeaux : éd. Confluences, 1994-2007, 9 volumes.

- SARGOS Jacques, MANCIET Bernard, BARDOU Pierre, LATRY Guy, Félix Arnaudin, imagier de la Grande-Lande, Bordeaux : éd. Belin, 1993.

Diane Barbe

Transcription

Journaliste
… Un homme va écrire une défense et illustration d’un espace, le désert tant souligné au 19ème siècle. Le sujet du photographe est cet espace lui-même. Pas de galerie de portraits, pas de rues animées, simplement la psychologie d’une étendue.
(Musique)
Journaliste
Au 19e siècle, les chroniqueurs, fascinés mais méprisants, parlèrent de la Lande. Désert marécageux et insalubre, peuplé de bergers souffrants de la malaria. Le Second Empire libéral ne pouvait laisser cette désolation humide hors de l’industrie. Il appliqua, consciencieusement, les recommandations de Brémontier. On couvrit la Lande de pin.
(Bruit)
Journaliste
Félix Arnaudin, Lou Pèc de Labouheyre, le fou de Labouheyre, fut le témoin exact de cette mutation. Né en 1844, de l’adolescence à sa mort, en 1921, il parcourut la Grande Lande avec une curiosité passionnée.
(Bruit)
Félix Arnaudin
7 heures du matin, je vais photographier lous pescaïres. Plus basse.
(Bruit)
Journaliste
Il écrivait la Lande, elle était sa matière. Les photos qu’il fît s’imposent à nous telles quelles, avec la rigueur d’un cadre qu’il avait choisi pour nous montrer la force de cette terre, de ce paysage dans l’homme.
(Bruit)
Journaliste
Mieux qu’un modeste témoin, il se voulait artiste.
(Silence)
Journaliste
Il composait avec les lignes, avec les gestes, minutieusement, pour nous faire voir une géométrie, par des photos plusieurs fois recommencées.
(Silence)
Journaliste
La grande Lande aurait découragé notre regard ; lui nous montre qu’il y a toujours à apercevoir.
(Bruit)
Journaliste
Toute cette chimie était-elle bien nécessaire ? Elle est celle des appareils à plaques. La photographie n’a pas plus de 50 ans. En fait, Arnaudin avait le sens de l’expérience, elle était, pour lui, les meilleurs produits pour dévoiler la Lande. S’il avait connu le cinéma, peut-être aurait-il été un Georges Rouquier, ou un Robert Flaherty.
(Bruit)
Journaliste
La quête inlassable a ses outils, l’encre, l’appareil à plaque et la bicyclette avec laquelle il parcouru plusieurs dizaine de milliers de kilomètres.
Félix Arnaudin
Je pars !
(Bruit)
Félix Arnaudin
J’arrive à Capbat, par les chemins de la Lande.
(Silence)
Félix Arnaudin
Je côtoie les premières maisons taciturnes, sous les vieux chênes, d’où, à part la douce voix du rouge gorge, ne sort ni une voix, ni un son.
(Bruit)
François Lalanne
Félix Arnaudin est le fils d’une vieille famille de laboureurs, de propriétaires laboureurs de Labouheyre, qui s’est installée à Labouheyre. Mais, originaire d’un quartier d’un village de Lu, qui s’appelle le quartier de Gaillard. Et comme tout les fils de ces familles là, il a poursuivi des études secondaires à Mont-de-Marsan. Et ensuite, il a travaillé un domaine tout à fait original, c’est l'ethnologie, l'ethnographie, la quête des traditions de son pays, de la Grande Lande.
(Bruit)
Journaliste
Pendant une longue et douloureuse agonie, il n’est pas rare de voir enlever les tuiles de la maison, vis-à-vis du lit du malade, et de mettre ainsi le mourant à découvert. Et pour ainsi dire, à la belle étoile, pour que son âme s’échappe plus vite et plus librement. On sait que les habitations des landais n’ont pas d’étages, et que ce moyen est facile à mettre en pratique.
(Silence)
François Lalanne
Donc, Arnaudin a connu l’ancienne période mais aussi la nouvelle. Et, là où il a eu une démarche, enfin, de précurseur, et où il a été un visionnaire, c’est qu’il a compris que la nouvelle civilisation fondée sur le pin, sur la sylviculture, sur la monoculture du pin, allait détruire, méthodiquement, lentement mais sûrement. L’ancien système agrosylvopastoral, que le pin allait éliminer le berger, que l’agriculteur, lui-même, disparaitrait et que toutes ces Landes seraient remplacées par le boisement, par la forêt.
(Silence)
(Bruit)
Journaliste
Rien, ailleurs, sur l’étendue plane que les bordes aux toits gris et les parcs aux toits rouges, miroitant, dispersés de loin en loin sous les vibrations de l’air tiède, et se perdant, rapetissés, à l’extrême horizon.
(Silence)
Journaliste
Une anomalie qui excitait plus d’étonnement, c’était par un jour calme et doux de printemps ou d’automne, de voir tout d’un coup, sans que l’état du ciel eût rien fait pressentir de semblable, les parcs et les bordes, au loin et au près, se mettent à grandir, et grandir, graduellement, sur l’horizon, jusqu’à dépasser la hauteur des pins les plus élevés. Puis demeurer tel un moment, de cinq à dix minutes, pour décroître, ensuite, insensiblement, et revenir à leur taille réelle. [incompris] Les parcs se regardent au miroir, disaient entre eux les pâtres émerveillés qui, seuls, pouvaient trouver pour peindre le surprenant phénomène une expression à la fois si simple et si naïvement imagée. Qui décrirait les nuits d’été de notre Lande ancienne, les nuits du désert ? Incroyablement belle sous le grand ciel nu, flamboyant d’étoiles, du haut de la voûte au ras du sol. Avec tout ce qui était répandu de troublants et solennels mystères, tout ce qui faisait de l’antique solitude la terre des inextinguibles rêves et des fantastiques visions.
Félix Arnaudin
Je reviens !
(Bruit)
Félix Arnaudin
Faire de la cendre pour dire faire les accords, passer fiançailles. Le soir des accords, il y avait toujours joyeuse soupée au logis de la jeune fille demandée en mariage. A la fin du repas, on commençait à parler d’affaires et la discussion était conduite par [incompris]. Puis, les arrangements faits et avant de chanter et de danser, les jeunes gens se livraient au jeu traditionnel désigné par l’expression « Abrase ». Les compagnons du promis s’amusaient à éparpiller par la cuisine, les cendres et les tisons du foyer. Il devait toujours y avoir un beau feu ce soir-là, été comme hiver, pour donner l’occasion à la future épouse, de montrer son activité en les ramenant vers l’âtre. Certains malins avaient repéré, dès l’entrée, la place du balai, pour le cacher et embarrasser ainsi, la jeune fille. Mais, celle-ci était, souvent, plus futée qu’eux, et l’avait dissimulé avant leur arrivée. Je trouve, au [incompris], un parc nouvellement construit. C’est un personnage insolite dans un tableau familier. Au Nord, un proche chemine au loin vers Labouheyre. Par instant, s’éveille dans la lourdeur de l’espace le cri d’un petit pâtre, et tout, retombe dans le silence.
(Bruit)
Félix Arnaudin
Je pars, avec mon père, voir la Lande du Maremne, froid, sans brume.
(Silence)
Félix Arnaudin
Nous lançons un lièvre au jardinier du Barat. Nous allons le perdre au fond de la Lande de l’Outarde. Beau soleil clair, vent de bise. Au Maremne, Toinette déménage. Encore un quartier aimé qui change d’être.
(Silence)
Félix Arnaudin
La veille du jour de foire, toute la Lande était en mouvement. Des centaines de brosses, chargées de grappes humaines, sillonnaient lentement, de tous les points de l’horizon, des chemins sans fin. Les uns, s’avançant solitaire, d’autres en longue file, dans l’accompagnement du tintement argentin des sonnettes des bœufs. La foire durait 4 jours : le dimanche, le lundi, le mardi et le mercredi. C’était 4 jours de camping, à l’ombre ou à l’abri de feuillages, qui formaient ciel de lit, au-dessus des véhicules.
(Silence)
Félix Arnaudin
De tout côté, de Capbat, de Chioule, du Bourg, le Taulade, vient le bruit des batteuses de chambres. Je jette un dernier regard sur le grand champ, baigné par un ciel pâle où brille, à travers les nuages et un sombre bouquet de pins, des étoiles humides. Je pars pour la lagune de [bombette], et je vais jusqu’au parc du [perdrix]. Je rôde autour de ses champs et de ses prés, et pars sur la Lande, sur ses courgeyres, familières à mon enfance. Cet après-midi, je vais photographier la lagune et la Garonne. Et me voilà dans le champ. Silence absolu. La Lande !
(Silence)
Félix Arnaudin
Je reviens par la Lande de Poublan, non loin du parc. Déjà, le soleil est tombé sur la bruyère.
(Bruit)
Félix Arnaudin
Au fond du levant, bornant en partie l’immense tapis déroulé sous nos yeux, courent en masses unies, les pins de Commensacq.
(Silence)
Félix Arnaudin
Aussi profondément que le pâtre s’enfonce dans la solitude, cette lointaine bordure que la légère brume bleue des soirs d’hiver enveloppe d’une si poétique gaze, demeure éternellement sous sa vue oisive. C’est pour lui, le doux, le reposant repère, qui durant les longues heures de l’isolement, tient à travers la distance, sa pensée rattachée aux toits invisibles.
(Bruit)
Félix Arnaudin
Outre les occasions où les bals s’improvisaient, ce qui arrivaient surtout aux veillées des fileuses, on s’assemblait, un soir convenu, le jeudi et le samedi principalement, tantôt ici, tantôt là, mais dans certaines maisons plus volontiers, que dans d’autres, en raison des habitudes prises et de l’humeur accueillante des maitres. Et bientôt, la ronde tournoyait dans la vaste cuisine. Il tenait du monde dans les anciennes cuisines landaises. Soit aux sons des instruments, soit à la voix chaude et vibrante de femmes, déroulant l'écheveau des vieilles chansons.
(Musique)
(Bruit)
François Lalanne
La passion qu’il a mis à son travail, si vous voulez, c’est qu’il n’était jamais achevé, qu’il n’était jamais parfait et qu’il y avait toujours un détail qui manquait et, il a passé 70 ans de sa vie à chercher, justement, l’ultime détail. Et, la raison l’aurait dicté d’achever son œuvre. Malheureusement, il a été, je crois, dépassé, un peu, par l'oeuvre et par les termes et les limites qu’il s’était fixé. Et il est mort, enfin, dans le …, un peu désespéré et puis ruiné.
(Bruit)
Journaliste
La Lande infinie, abandonnée sans partage, à la vie pastorale et endormie, à jamais, semblait-il. Mais, des temps nouveaux sont venus, brutalement, briser le charme, dans son vieux rêve d’immensité et de solitude. On n’entend plus les matins d’été, jetés à longue voix dans la paix de l’aube, le cri traditionnel, sauvage et grandiose qui appelait au loin les batteurs à l’air. Plus de bruits de fléau résonnant sourdement, à temps égaux, dans l’accablement des journées de juillet et d’août. Maintenant, la Lande n’existe plus. Enchantement des aïeux déroulant sous le désert du ciel, sa nudité du premier âge à l’étendue plane, sans limites ; la plantation en allée, écœurante de banalité, borne implacablement la vue, hébète la pensée, en abolit tout essor. Même l’œil avait le perpétuel éblouissement du vide, où l’âme élargie, enivrée, s’abîmait dans d’ineffables et si chères tristesses.A succédé la forêt, la forêt industrielle, avec toutes ses laideurs, pour le maximum d’argent.